Situation à graver

Le métal au bout des doigts

Après avoir utilisé exclusivement la pointe Kakimori pendant trois semaines, j’ai glissé à nouveau le desk pen dans ma sacoche et envisage ressortir le fil aiguisé des gouges.

L’enfer de la médaille

M. à eu beau le répéter, je commence à réaliser consciemment mon attrait pour la gravure et de l’influence que cela a sur moi. Il m’aura fallu cependant réaliser des petites illustrations à la pointe ogivale puis au stylo-plume pour comprendre pourquoi je ne l’intégrais pas vraiment.

L’excellence de Dürer, sa virtuosité, toutes deux m’éloignaient en pensée de cette technique. Sans vouloir offenser ce cher Albrecht, mon attrait pour la gravure se révèle être lié, encore une fois, à la lecture, aux petites vignettes et autres culs-de-lampe ponctuant les pages de mes livres jeunesse. Des illustrations souvent simples qui s’intégraient aux pages, répondaient à la typographie.

Des ponctuations visuelles qui accompagnent un récit sans imposer une vision, c’est peut-être ce qui m’a tant marqué. Cela est, en tous cas, dans la lignée de mes souvenirs de Nulle-part.

Un envers pavé de bonnes intentions

Dans notre atelier familial, une petite presse manuelle m’attend, avec des plaques de linoléum et quelques gouges. Tout ceci a déjà servi et sert encore à M. et nos filles mais je ne suis pas encore arrivé à m’attabler régulièrement devant une plaque pour y creuser mes propres images. La somme des étapes nécessaires, la durée de l’exercice et le nombre potentiel d’erreurs et maladresses que je ne peux m’empêcher d’envisager sont autant de freins me prévenant de m’y mettre régulièrement. L’immédiateté du dépôt de l’encre sur le papier, acte irrémédiable une fois la plume posée, est si satisfaisante. Une première trace laissée et le dessin commence à exister, reste à l’emmener au bout.

Pourtant, malgré la satisfaction éprouvée, l’unicité de ces productions me laisse un goût d’inachevé. Ce qui m’a attiré dans le monde de l’impression et du web, ce sont les idées de diffusion et de partage, d’accessibilité. Bien sûr, il est tout à fait possible de numériser les dessins et de les imprimer. Cependant, on en revient à un nombre d’étapes et de choix à effectuer important. Ni illustrateur ni dessinateur, la diversité des supports que j’utilise est un premier obstacle à la numérisation facile[1]. Papiers teintés dans la masse, plus ou moins lisses, plus ou moins blancs, reliés en carnet dont chaque face des pages a été utilisé, tout cet univers de fibres et de pigments demande une approche particulière, une méthode adaptée et une prise de décision.

un plan de travail en bois est recouverts de porte-vues, de carnets de différentes tailles et d’instruments d’écriture ou de dessin, un scanner à plat, fermé, en est même recouvert

Ce dessin, qui me plaît, ces traits qui me parlent depuis leur fond légèrement teinté et vallonné, auront-ils le même effet sans celui-ci ? Et je n’en suis qu’à l’étape de dématérialisation. Procéder à la reproduction satisfaisante des images sur un nouveau support physique ouvre à nouveau la porte à de trop nombreuses réflexions sur « la bonne technique », « le bon support », « le bon équipement ».

Poinçon d’avril ?

Prendre le temps de réfléchir à tout cela, à ces obstacles opposés par moi-même à moi-même, m’a donné envie de redonner une chance à mes mains, au métal coupant et au linoléum en plaques. Pourquoi ne pas profiter de la semaine de coupure prévue dans les jours qui viennent pour en faire également une semaine de coupure(s) — les plus petites et bénignes possibles.

À suivre donc…

Rédigé à Toulouges en mars 2025.