Fauteuil de trouble

Hans seul écrête tel un bucheron

Extérieur jour, trottoir de l’avenue Wilson à Perpignan, deux personnes sortent d’un parking souterrain en discutant. Un homme, entre quarante et cinquante ans, et une jeune femme dans sa dix-neuvième année, un père et sa fille. Tous deux se dirigent vers les portes vitrées d’un cinéma. Lui en vérifiant que le ticket de stationnement est bien dans sa poche et elle en s’aidant d’une canne. La double porte vitrée se referme doucement derrière eux tandis qu’ils progressent sur l’épais tapis en direction des caisses. Fondu au blanc.

Le choix dans la salle

Le Castillet, salle historique de Perpignan sans soute sauvée par son gargantuesque petit-frère multiplex et la dimension de ses salles de projection adaptées aux séances de groupes scolaires tout en étant en centre-ville. On peut aussi imaginer que la location d’une partie de ses murs à une agence bancaire, un magasin de bricolage et une enseigne de commerce de proximité aident bien. Le format numérique et la centralisation de la commande des projections a dû aider à la réduction de l’emprise foncière nécessaire à l’activité. Mais je m’égare (du centre du monde). Toujours est-il que ce cinéma de centre-ville, en plus d’une programmation jeunesse et arts-et-essais, propose la projection des blockbusters du moment en version originale sous-titrée. Une des deux raisons pour laquelle notre choix se porta sur ce lieu ; la seconde ? La pression acoustique.

Le son des choses

Le même couple de personne, à savoir ma fille et moi-même, avait regardé la première partie de Dune selon Denis Villeneuve dans la salle principale du Méga Castillet, pendant multiplex de la salle historique. Cette expérience m’avait tellement marqué que mon envie de découvrir la suite étais largement contre-balancée par l’appréhension de me faire à nouveau malmener par les compères Hans et Denis. Or j’avais aimé le film, pour lui même autant que comme adaptation d’un roman faisant partie de mes classiques personnels.

La tachycardie suivant la bande-son de Zimmer et Villeneuve est également de Zimmer et Villeneuve.

Le réalisateur n’aurait pas autant énoncé ce parti-pris de pression sonore, j’aurais sans-doute associé l’épreuve subie à la course à l’armement des réseaux de cinémas multi-salles en regrettant un peu que cela me gâche l’expérience. Quelque part je nourrissais encore un peu cet espoir en me rendant dans une petite salle pour regarder la suite. Espoir déçu. La tachycardie suivant la bande-son de Zimmer et Villeneuve est également de Zimmer et Villeneuve.

Je me permets de rappeler que nous ne sommes pas toutes et tous égales et égaux dans notre sensibilité aux choses physiques. La plage de couleurs perçues par l’oeil humain établie par la Commission internationale d’éclairage (CIE) n’est pas un fait physique mais une donnée statistique. De même, les courbes isotoniques de l’Organisation internationale de normalisation (ISO), redéfinies en 2003 du fait d’écarts importants entre les différentes courbes préexistantes, ne sont pas un absolu universel.

Ne raisonner que selon sa perception est une démarche excluante, que cela soit fait pour des raisons artistiques — qui a dit égotisme ? — ou par ignorance. Le cinéma de Denis Villeneuve est un cinéma d’exclusion car en poussant « à coin » tous les curseurs de contraste, plage dynamique et autres mobilisateurs sensoriels dont il dispose, il fait le choix d’agresser bon nombre de spectateurs et spectatrices qui souhaiteraient être en mesure d’apprécier son film.

Le cinéma de Denis Villeneuve est un cinéma d’exclusion […]

Mes filles, quand elles peuvent se rendre au cinéma, ont toujours avec elles des bouchons d’oreille de type loop en complément de leurs fidèles casques à annulation de bruit. Ce qui n’adoucit pas les uppercuts des basses fréquences mais est un bon amortisseur pour toutes les autres.

Pour ma part, moins sensible ou endurci par 45 années de masquage, je ne m’étais pas muni de ces protections (je ne supporte pas bien les bouchons). Une semaine après je le regrette encore. J’ai eu des accès de panique pendant la séance, des sueurs froides, le tout en ayant conscience que nul danger ne me menaçait. La nuit suivant la séance a été horrible.

Watt about…

…tous ces films dits de super héros que j’ai été voir ? S’ils font usage d’explosions sonores autant que visuelles, c’est avec un matelas musical et ce que je qualifierais d’effets de manche à grand spectacle (voir grand-guignolesques) qui demeurent dans le domaine du divertissement. Aussi désagréables qu’ils peuvent être par moment, leur expression est limitée dans le temps. Ils sont également attendus, les codes du genre permettent de les anticiper.

Au contraire, dans les deux parties de Dune, ce sont respectivement 155 et 166 minutes consacrées à bousculer physiquement les spectateurs et spectatrices, sans répit, avec la détermination d’un marteau pilon. Silences et grondements, saturations, contrastes, composition, ruptures de rythme, tout est mis en œuvre avec une brutalité et une imprévisibilité voulues par le réalisateur pour porter sa vision.

Cette vision m’a porté sur les nerfs au sens propre, m’a agressé et perturbé physiquement pendant des heures. Tout ce qui me reste de ce film — aussi bon qu’il fut — est du stress, une insomnie et de la tachycardie.

Rédigé à Toulouges en mars 2024.